La mariée

Publié le 18 Juin 2012

     Bain

     Le zellige, des comètes étoilées à quinze branches violettes, de petites rosaces ocre et turquoise, toutes ces formes reposant sur un enchevêtrement de rectangles blancs. La vapeur sature l’air, les pores se dilatent, le sang bouillonne. Les corps nus sont frottés jusqu’à ce que naissent des égratignures.


     Il y a de la violence, de la sévérité dans ces frottements obstinés à rendre la peau plus blanche, plus lisse. On fait quelques fois une pause, on se rince en versant de l’eau que puise la tasse de cuivre qui fouille dans le bassin sous-jacent.

Elle gicle sur les corps et apaise ou réveille le tourment de leurs surfaces décrépies en fonction de sa température. L’épuration est bruyante, c’est comme des ouvrières qui, toutes à leur tâche, délient leurs humeurs et les partagent avec les voisines. Les rires s’escaladent, des voix retorses trouvent le moyen de se dégager du trouble sonore et se volent la vedette par plages étroites. Le bain a été réservé pour la mariée.


     Je n’y ai pas mis les pieds depuis mes dix ans. C’était un martyre, maman frottant insensible malgré mes supplications. Rien ne l’arrête. Je me liquéfie.

Sous les Celsius exacerbés, je manque de m’évanouir.


     Aujourd’hui je suis libre de repousser le calvaire. Et pour narguer ma mère je tiédis l’eau au possible, je fais faire rapidement le tour de mes membres au gant râpeux et passe au gel douche alors que les autres femmes de la tribu n’ont pas fini le premier mouvement. Je contemple Maria. Des sourires escrocs se détachent de la beauté piégeuse qui la relie désormais à un prince Mercedes. La perspective de sa cache dorée lui pince l’âme qui plisse et dont les froncements répercutent des mimiques hypocrites à la soupe de femmes obèses et ordinaires. Qui n’a d’yeux que pour elle. Pour sa silhouette dégagée et son visage luminaire. Elles voudraient la même pour leurs fils.


     Il y a comme un blanc entre ses lèvres plantureuses qui ne dit rien ou tout ce qu’on saurait poser dessus.


     Je sais qu’elle aimerait détaler. Assise sur « la pierre chaude » entourant la fontaine au centre du bain. Elle creuserait bien une petite rigole pour disparaître, gagner l’autre versant de la vie.

Rédigé par L.

Publié dans #Récit (1)

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article