Murmure .1.
Publié le 14 Février 2011
Je parle à l’homme poisson de comment je l’ai trouvé.
Sur le sol brillant et plastique, il y avait trois bandes en couleur, rouge, bleue et la troisième je ne sais plus trop. J’ai suivi leur parcours, et je suis arrivée là, devant votre mur blanc, habillé de mots gris.
Ce soir, je pleure de vous lire. Mais vous vouliez que l’on se tutoie, pardon, je n’y arrive pas.
J’aime vos mots parce qu’ils réveillent la douleur, la défient avec désinvolture, légèreté, ils s’en amusent, s’en délectent, y découpent des confettis pour que le bruit du papier nargue la solitude.
« À force de tourner en rond dans un bocal on doit avoir les idées qui dégénèrent. Dans une boîte c’est pareil, sans la transparence et sans l’arrondi, quoique. »
J’ai lu votre vie un peu comme un livre qu’on ouvre au hasard, pour la beauté du geste, parce que chaque fragment est bouleversant et intemporel. Je m’en veux de parler à qui ne m’entend pas, parfois c’est un manque de présence, et parfois un manque de sensibilité.
Je me confie à l’homme poisson, lui parle de l’autre.
C’est fou, j’ai l’impression de vivre sur une autre planète, mal ancrée, en apesanteur, dans les nuages, candide indifférente à la matérialité de la Terre.
Il m’a dit : je crains de ne plus croire en la beauté des âmes. À croire que je n’attire que les blasés, ceux qui sirotent leurs désespoirs et rêvent de contingences, la tête posée sur mon ventre. C’est une image. Moi, je rêve d’un mentor et de rien d’autre, je fantasme d’un lien qui transcenderait toutes ces interactions faites de regards prédateurs et de bouches séductrices, menteuses.
Je veux être la muse et l’œuvre d’un homme torturé sur qui j’aurais tous les droits, à qui j’appartiendrais absolument, en demeurant libre.
Je parle à l’homme poisson de comment je le vois.
Lorsque je me perds dans vos billets, j’y vois un petit garçon dont le cœur grossit à force de s’emplir de vie et d’émotions ; un jour il remarque que la masse a trop grandi, qu’il y a même un renflement apparent. Alors, il prend peur, il craint que les Autres devinent la métamorphose, que leurs yeux inquisiteurs lui arrachent son secret dans une giclée d’hémoglobine.
Il court dans les ruelles de la ville, rase les murs, se cachant de la meute. C’est dans les escaliers d’un immeuble en travaux qu’il rencontre une main miraculeuse. Née de la nuée, elle lui essuiera les joues tendrement et lui expliquera d’une voix apaisante comment distiller son encre, comment se libérer enfin du chagrin grandissant d’être né.